Le champ des possibles


« Le champ des possibles »…. On l’entend parfois et il résonne en nous pour toute une journée voire une semaine. Il énerve et interroge. Le champ, campus, agricole ou militaire ? Parce que si c’est campus et non ager, on imagine le champ de Mars et ses soldats restés en dehors de la Ville. C’est militaire, carré, grave. Ager, c’est plus bucolique, fleuri, doux. Mais ce n’est pas la bonne étymologie. Enfin, de toute façon, entre le légionnaire romain ou l’agriculture idéalisée, nous n’y sommes pas. 

Serait-ce peut-être : le chant des possibles ? Tout de suite, on imagine un chœur de patriotes ou une chanson engagée parlant du pouvoir de chacun de changer sa vie… Ou pas. Sont-ce alors éventuellement les « possibles » qui chantent ? Et là, on imagine des « possibles » en aube bleu roi chanter du gospel dans une église évangéliste américaine…Non plus.

Mais qui sont-ils ces « possibles » ? Ont-ils seulement une existence ? Que dit le dictionnaire en 2021 ? Oui : ils existent !  En tant qu’adjectif généralement mais aussi en tant que nom et ce n’est pas une invention de quelque thérapeute en médecine douce, assistant social ou pédagogue en devenir ; c’est le CNRTL[1] qui le dit ! 

D’ailleurs, on accepte sans sourciller « Je vais faire tout mon possible. » Est-il différent du « champ des possibles », ce « possible » pris en otage par un ego présomptueux ? Ces deux usages se réfèrent à un sens commun : « tout ce qui est réalisable ». Dans ce cas, rien d’irritant. Mais pourquoi donc « le champ des possibles » heurte-t-il mon ouïe ?

Ce sera donc bien « le champ » qui dérange. Pourtant, on dit bien «champ visuel », « champ lexical », « champ magnétique » et ma susceptibilité ne bronche pas. C’est donc une question grammaticale. On complément de nom pour « un champ » c’est trop. Un « champ de coquelicots », passe encore, au moins c’est réel et méditatif, mais « un champ des possibles » ? Vous imaginez ? Vous visualisez ? Vous ressentez ? Non. Rien. Ce n’est pas palpable, ça ne passe pas par les cinq sens. Ça n’existe donc pas ? Peut-être pas. Ou peut-être que oui. C’est une suspension dans la réalité. C’est un peu comme la valeur du subjonctif : on est dans la potentialité et ça fout la trouille !

Ce que j’ai oublié de mentionner, c’est que ce groupe nominal est souvent le complément d’un verbe, eh oui ! Un verbe tout aussi impressionnant : « ouvrir ». Oui c’est cela qu’on dit : « Ouvrir le champ des possibles ». Quand on a la phrase entière c’est plus beau mais non moins flippant. « Ouvrir le champ des possibles », c’est comme te mettre face à ton destin, un bord d’un ravin que tu dois franchir sans corde. Tu es tétanisé par le gouffre, tu es sûr de t’y perdre, d’y être englouti comme dans un trou noir. Tu ne vas même pas errer dans « le champ des possibles », tu seras absorbé par son néant. Tu vas disparaître.  

La prochaine fois, tu opteras pour le « chant », c’est plus audible ; et pour « des possibilités » parce que quand c’est féminin, ça élimine déjà la moitié des possibles… En tout cas, à défaut d’être potentielle, la proposition est poétique. 

 

 

 



[1] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, autrement dit, le must du dictionnaire.

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