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Affichage des articles du décembre, 2019

West Germany

Son origine gravée sur la poignée à moitié disparue: mon racloir à tapisserie. Il vient d’un autre siècle , où l’on était pour l’un au l’autre clan, où l’on rêvait d’égalité ou de prospérité, de communauté ou de diversité, d’éducation ou d’opportunité, où l’on voyait en rouge ou en azur étoilé, où on croyait qu’il y avait un autre monde derrière le rideau de fer. Aujourd’hui, on a le droit de croire en une mosaïque d’opinions et de se perdre pour des idéaux farfelus. L’urgence est de mise: il n’est plus question de plan quinquennal ou d’endiguement; il faut sauver la planète car TU es coupable. Qu’en pense mon racloir vintage ? Il traverse les siècles et se voit fort dans le temps pour son côté « recyclé », il est ému de déchirer du papier qui est le symbole d’une autre époque et peut-être murmure-t-il secrètement que la lutte n’est pas finie...

Le penseur

Il trône au sommet de la porte de l’Enfer, scrutant les passants devant le Kunsthaus. Noir et brillant, il luit par tous les temps de ses reflets bronzés. Ah! Il est là ! Je ne savais pas! Tel le damné de Michel-Ange, il happe le spectateur de l’horrible présage. Attirant le quidam à repenser son sort, sa condition. En ce 18 décembre, les élèves l’observent tout étonnés et impressionnés. On fait une photo pour la postérité ou plutôt le bulletin de fin d’année. Aujourd’hui, la classe 11g est passée à Zürich et a contemplé ce que l’on peut considérer comme des chefs-d’œuvre de l’humanité. Épatés, les élèves se photographient devant un Cannaletto au une Nymphéa.  Les uns choisissent une œuvre pour leur chambre, les autres cherchent un artiste connu. On respecte les lieux et on poste des merveilles. L’Art à portée de main, l’humanité à portée de smartphone.

Parents volés

Elle met un drapeau tricolore le 14 juillet à sa fenêtre et une boule au sapin de Noël pour ses parents restés sous les drapeaux. Elle est fière de ses origines outre-lémanique mais ne supporte plus les regards biaisés qu'on lui lance parce qu'elle est de là-bas. Même si sa mère était une orpheline de l'hospice, on préfère oublier quelques détails pour mieux la fustiger. Elle sera ouvrière la petite française car tous les apprentissages lui seront interdits. On l'a déjà accueillie alors pourquoi lui donner un rang? Réfugiée jusqu'au mariage, étrangère à tout jamais, bien qu'on l'apprécie, la jolie.

Monsieur B.

Je fixe la lampe. Une marque allemande. Puis, me souvenant de sa présence, je cherche son regard. Ses yeux bleus observent ma bouche derrière ses lunettes et son masque. Bzzzz, iiii, bzzzz. ça vibre contre ma molaire. ça fait froid dans le dos. Il gratte avec son crochet puis enclenche la brosse: le dentifrice abrasif, un coup de polish, une poignée de main et me voici, dix minutes plus tard à nouveau sur le trottoir. Monsieur B. c'est un vieux de la vieille: efficacité et blancheur.

Un verre de vin rouge, un biscuit, une carotte.

Un verre de vin rouge, un biscuit, une carotte. A la nuit tombée, sur tous les pas de porte, sur toutes les fenêtres, les trois denrées attendent sa venue. Impatients, ce sont surtout les enfants qui gardent leurs yeux et leurs oreilles bien ouvertes en espérant l'apercevoir. Mais d'où vient donc cette douce croyance en un vieux barbu qui viendrait donner des cadeaux aux enfants sages? Elle nous vient du fin fond des siècles, quand on mangeait les enfants et qu'on pouvait aussitôt les ressusciter. Des temps légendaires. Mais qui voudrait encore y croire aujourd'hui à ces légendes sanguinaires? Les enfants bien entendu, à qui l'on omet les cruautés humaines pour les préserver, l'enfant qui reste enfoui en chacun de nous, les grands-papas qui se prennent pour le grand barbu le temps d'une soirée en passant déposer des cadeaux devant la porte. Tout le monde voudrait y croire un peu afin de voir briller les yeux des enfants crédules et émerveillés.

Chez Mme G.

Avant, tu n’es rien, à peine une midinette. Tu passes chez Mme G. une fois par année avec tes questions fraîches et naïves et tu reçois des réponses glaciales et méprisantes en retour. Puis, un jour, tu deviens grosse , mais l’œil ne change pas. Tu restes dans la case « candide ». Enfin, tu deviens maman. Alors on commence à te considérer comme telle et surtout, tu acquiers le statut de femme tant espéré. On te considère et on pense que tu le mérites. Pour Mme G. , tu fais partie du club et tu as droit à son regard bienveillant et quelques égards. Mais pas pour longtemps : bientôt, tu passeras dans la catégorie suivante, alors on te parlera de ménopause et d’hystérectomie. Être femme...