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Affichage des articles du avril, 2020

Le déconfinement

De la chambre, on pouvait entendre la rumeur lointaine de la liberté… cette nuit était celle de la délivrance, non de la révolte. (La Peste, A. Camus ) Le 11 mai ressemblera à une journée de la délivrance. Un déconfinement partiel et pourtant tellement cher à la population. Ce jour printanier sonnera le début de la fin d’un confinement mal compris et mal vécu. Les gens quitteront-ils alors leur masque d’amertume ? Esquisseront-ils un sourire à l’idée de retourner sur les terrasses ? Auront-il conscience de la chance des enfants qui pourront regagner les bancs des écoles sans notes ? Y’aura-t-il des débordements dans l’élan d’allégresse ? Osera-t-on se saluer ? Pourrons-nous serrer nos aînés ? Tant d’incertitudes quotidiennes qui nous tiennent depuis 45 jours. Et demain, saurons-nous préserver l’humanité, celle qu’on a voulu étouffer par crainte de la mort ?

Chez Mme C.

La poutze, c'est pas un hobby mais ça me connaît. Habituée dès le plus jeune âge à dépoussiérer les bibelots de Mme C., je n'ai malheureusement plus la patte à poussière aussi alerte. Enfant, grand-maman me gardait. Mais elle devait aussi faire des ménages. Alors on partait avec ma soeur et parfois ma tante chez Mme C. et on commençait les nettoyages. La tâche de ma soeur et moi était bien définie: enlever tous les bibelots des tables gigognes, des objets récoltés suite à des nombreux voyages, passer la patte et remettre les petits objets de collection sur les tables en verre. Quand on avait fini, on pouvait aussi épousseter la bibliothèque du salon où s'exposait une carte postale intrigante, représentant une femme au sein percé par une flèche. Certainement la reproduction d'un tableau symboliste. Il y avait aussi une flûte et d'autres bricoles sur cette étagère. Chez Mme C., la cuisine était aussi un lieu particulier. Minuscule, placardée d'affiches d'expo

Persil de Proust

J'ai mangé du persil. Mes sens m'ont rappelé mon enfance, quand on allait au jardin "à grand-papa". C'était pas très loin de la maison. On partait avec grand-maman et Sophie rejoindre grand-papa René au jardin. Celui-ci s'étendait au pied de la Tour des Ecureuils, près de la porte de Grandcour. Des lézards grimpaient sur les pierres chaudes et séculaires du rempart. Le jardin était protégé de tout, placé en contre-bas d'un mur de pierres sèches. Un grillage en faisait le tour. Rouillé. On glissait nos petits doigts à l'intérieur de ses losanges pour en sentir le contour. ça grattait. Et puis parfois, on prenait le portail pour une balançoire en s'accrochant à la vieille porte de jardin qui nous suspendait dans le vide. Aux abords du jardin, on pouvait cueillir quelques boutons d'or et souffler sur quelques pissenlits. On piquait des petites tomates dans le potager, des framboises et du persil pour s'en mettre plein les dents et apprécier s

Honte

Oui, j’ai continué d’avoir honte, j’ai appris cela, que nous étions tous dans la peste.  …que chacun la porte en soi, la peste, parce que personne, non, personne au monde n’en est indemne. (La Peste, A. Camus ) Qu’est-ce que la peste ? Peut-être la condition humaine, notre condition de mortel. Nous sommes donc tous concernés par cette fin imminente, prévue pour tous : la mort. Alors, avant d’y arriver, comme tout en chacun, l’homme tente de jouir une dernière fois du bonheur qu’il a connu sur Terre. Il se protège pour reculer le moment fatidique, dans l’espoir de pouvoir y renoncer. C’est pourquoi un virus sournois peut le déstabiliser et le plonger dans une solitude qui tue son humanité avant de tuer son corps.  Honte de quoi finalement ? De vouloir rester en vie ? D’honorer le sens de la vie ? Quel sera-t-il ? Différent pour chacun mais dans le même but : s’écarter de la fin. Honte d’avoir peur de la mort. Honte d’avoir oublié la finitude de l’être humain alors même qu’il to

L'âme suisse romande...en confinement.

On nous dit de rester à la maison, on reste dans nos chaumières. On nous dit de ne pas sortir sinon pour faire ses courses, on ne va pas en promenade. On nous dit de ne pas aller au bord du lac, on ne va pas au bordul. On nous dit :" les plus de 65 ans sont en danger", on ne va pas voir les grands-parents. On nous dit de ne pas nous réunir à plus de 5, on reste chez soi, à 4. On attend tous les soirs le TJ et on obéit au CF. Le Suisse-Romand a peur du regard des autres car il juge. Le Suisse-Romand a peur de la police car elle punit. Le Suisse-Romand a peur du Suisse-Allemand car il parle pas comme lui. Le Suisse-Romand se méfie de l'économie car elle vient d'Outre-Sarine. Le Suisse-Romand préfère crever d'ennui plutôt que de passer pour un suisse-allemand.

Encore La Peste.

Quand l’innocence a les yeux crevés, un chrétien doit perdre la foi ou accepter d’avoir les yeux crevés. Celui qui croit peut endurer. 

Peschici

Des murs décrépis, autrefois blancs, aujourd’hui gris clair et gris foncé. Des fissures, des toits plats, des ruelles étroites. Un escalier au bout de la rue pour descendre à la mer. La mer Adriatique, azur d’infini et de sérénité. Elle inspire le respect, l’humilité, la profondeur. Le port, d’où partent les bateaux pour le isole Tremiti, est protégé par une bienveillante madone immaculée, montée sur un pilier pour mieux dominer l’horizon. Aujourd’hui c’est jour de fête, les banderoles décorent les rues principales. La fanfare locale défile avec le curé et le maire de la ville. Elle joue faux mais avec le cœur. Il fait bon, c’est l’été et la patronale. Tous les habitants sont réunis pour festoyer et célébrer le saint patron. Les yeux pleins de joie, les pieds dans l’eau. Peschici.

Une vie au foyer

Ménage, lessive, pipi de la petite, dîner... et défaire un noeud de cerf-volant durant une demie-heure au soleil. Il fait beau, une légère brise: le temps idéal pour le cerf-volant ! Mais l’impatience crée des noeuds, qu’il faudra dénouer sans perdre patience. Et puis, il est 11h30, l’heure du dessin animé et d’éplucher des panais. Tant pis pour l’objet qui provoquait tant de désir il y a une demie-heure... Sa légèreté nous inspirera  sa liberté plus tard. Il y a des priorités! Lessive, courrier, factures. Petite sieste. Mauvaises herbes. Il est cinq heures, on range le cerf-volant sans faire de noeuds. Les rêves de liberté ce sera pour une autre fois!

Fragment d'une lettre à grand-maman Odile

(...) Grand-maman, quand on se souvient, on idéalise. Mais peu importe, il nous reste en mémoire, à tous tes petits-enfants, une enfance bénie et baignée par la nature, la prière, la bonté, la bienveillance et surtout ta douceur. Des courses folles dans les herbes hautes, des assiettes léchées après le repas, des lauriers roses en fleurs derrière la maison. Grand-papa et toi nous avez offert du bonheur à la pelle et le respect sincère des gens et des choses. Grâce à vous, nous avons des souvenirs rieurs, à l’image de vos chatouilles quand on arrivait à la maison, et bien ancrés, comme le chêne de grand-papa dans sa forêt des Granges.

Adèle

C'est un petit hôtel de la riviera adriatique. Son nom à consonance helvétique rappelle peut-être quelques uns de ses clients très fidèles. Il est bien placé via Ovidio, un peu en retrait de la rue principale mais au coeur de la rue piétonne, à cinq minutes de la mer. La terrasse ombragée devant l'entrée de l'hôtel permet à ses clients de boire un café avec pignon sur rue, après les repas. Il fait bon à sous les platanes. L'entrée semble sombre puisqu'on vient d'une journée estivale. Appuyée à un siège du bar, Adèle nous attend. Elle veille à son hôtel et au bien-être de ses hôtes, sans différence ni indifférence. Elle aime son métier et ses visiteurs. On tient l'albergo de père en fils ou d'oncle en nièce, enfin : c'est une affaire de famille. La patronne aux yeux verts porte une noblesse qui inspire le respect. Elle semble connaître l'humain, connaître la vie. Elle vient de perdre sa mère mais est elle-même grand-mère. Alors quand elle voit de

La petite Pénélope

La petite Pénélope attend son Ulysse. Depuis qu'il n'y a plus l'école, elle ne le voit plus. Il n'est pas parti en voyage,  il habite même tout près. Mais elle ne peut le voir. Alors elle traine son spleen et imagine ses jeux d'antan avec son camarade. Pour tuer le chagrin, elle embrasse ses doudous et finit pas lui faire un dessin que sa maman va glisser dans la boîte aux lettres de son voisin de quartier: Ulysse. Son petit copain le lui rend bien. Le lendemain, c'est au tour de notre petite Pénélope de recevoir un dessin. Il ne l'oublie pas. L'autre jour, on l'a même croisé, de loin, en promenade. Il était intouchable mais son regard intimidé en disait long. La petite Pénélope pleure au moins une fois par jour l'éloignement de son Ulysse et espère tous les soirs que bientôt recommencera l'école. Pourvu que l'attente de notre Pénélope soit proportionnel à son âge!

Lettre à mes grands-parents

Comme c'est à la mode de soutenir nos aînés confinés, j'imite cette belle initiative de La Liberté,  qui est d'écrire une lettre aux aînés quotidiennement. Chers grand-papa et grand-maman, Avant, je venais vous trouver parfois le dimanche et on dégustait l'une de tes fameuses tartes aux pommes grand-maman, en buvant du thé à la pêche. Je prenais Emilien et Cécile avec moi pour qu'ils vous voient et pour vous offrir leur joie de vivre. Alors, après avoir joué avec les jeux que tu gardais pour eux grand-maman, grand-papa ouvrait l'atelier dessin pour apprendre à ces arrières-petits-enfants à réaliser toute sorte d'animaux dont des lapins et des poules. On essayait de venir souvent et vous étiez ravis. Aujourd'hui, on se téléphone presque chaque jour, mais on attend que le confinement soit terminé pour revenir dessiner à la petite table de la cuisine. On vous envoie des dessins et vous nous envoyez les vôtres. Emilien demande souvent quand on pourra vo

" En attendant, écrivons..." avec Camus.

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran.   ( La peste , Albert Camus) Le cataclysme qui se produit en 2020 sur toute la planète en est la pâle réplique. C’est la déshumanisation du monde qui laisse peu à peu place à un règne encore inconnu. La carrosserie rouille gentiment et se retire face au puissant virus invisible. La moitié de la population mondiale est en quarantaine, c’est la fin d’un règne ancestral, celui de l’homme qui se croyait omnipotent. La chronique commence en 2020, mais on ne sait pas quand elle finit. Les enterrements s’enchaînent sans son assistance qui fait d'habitude tout son rituel. On se méfie, et ni le savon, ni le dentifrice ne pourront racheter les tares de l’humanité. L’homme est perdu, à moins que l’art ne le sauve. Mais que peut l’art contre la nature ?