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Affichage des articles du novembre, 2022

Lécher l’assiette

Nous sommes trente dans le salon aménagé en salle à manger pour le banquet annuel. Le dessert est terminé. Chacun regarde son assiette sur laquelle les lignes jaunes de la crème vanille sont encore luisantes. On la tient à deux mains. On la soulève déjà en guettant grand-maman. Elle termine son dessert, dépose sa petite cuillère avec délicatesse, esquisse un sourire discret, soulève l’assiette. La famille, soulagée et ravie, peut s’adonner au rituel. Les enfants sont pressés, les belles-filles hésitantes, les fils habitués. Les langues s’étirent au plus loin afin de préserver le bout du nez. Les meilleurs nettoient leur assiette en trois lampées, les novices donnent des petits coups de langue, comme des caniches. Les assiettes sont propres, les yeux brillent. Ici, on peut le faire.

Les œufs mimosa

On prend des œufs cuits durs. Après avoir méticuleusement émietté leur coquille , on les coupe délicatement par la moitié. On ôte le jaune que l’on entrepose dans un plat. On y ajoute de la mayonnaise et du paprica. A l’aide d’une fourchette, on écrase le tout et on mélange. Avec deux cuillères à café , on prend la mixture jaune à pois rouges que l’on réintègre au petit bateau blanc. Sur l’image, les œufs mimosa forment un petit train.  « Rien que d’y penser, j’ai mal au ventre maman ! » Bien sûr, au siècle passé, on avait les estomacs bien accrochés, ni les raviolis en boîte, ni le parfait ingurgité à même le tube ne nous faisaient peur. O tempora, o mores !

L'instit.

Il ouvre la porte avant que les élèves ne soient là. La classe sent encore la craie de la veille. Il ouvre les stores, les fenêtres. L'air doit être sain quand ils arriveront. Le maître prépare quelques fiches, contrôle que sa guitare est dans son coffre, les pots de peintures sont pleins, les pinceaux nettoyés, le rétroprojecteur dans son armoire.  Les élèves arrivent, quelques cris, des rires, des bousculades. "Bonjour Monsieur!". Chacun prend place. L'instit. chevauche sa chaise à roulettes telle une moto pétaradante. Quelques questions, plaisanteries, culture générale, corrections, activités de groupes, récréation, bricolage. L'instit. est un idéaliste: il croit qu'en créant des montgolfières en papier de soie, on comprendra que l'air chaud monte et que les idées prennent de la hauteur. Des heures de patience et d'application. Des questions naïves, des colères avec de la colle au bout des doigts.  "Ce sera aujourd'hui le lancement des mont

1983

Des livres écrits en 1983. L'année de ma naissance. Vendredi, j'ai 39 ans. Dernière ligne droite jusqu'à la mid-life. Adrien Pasquali poétise le statut de saisonnier en Suisse. Annie Ernaux se raconte par sa relation au père. Tout est question de filiation, d'identité, d'origine. La quête continue jusqu'au dernier souffle. Je retourne le livre du Valaisan d'origine italienne: prix Schiller 1984. Je regarde le dos du livre d'Annie Ernaux: prix Renaudot 1984.  Adrien Pasquali, Eloge du migrant . Annie Ernaux, La place .

Burning violin

De démanchés en gammes virtuoses, De coups d’archet en vibrato déchirant,  Je t’écoute et je t’entends.  Dans ma cuisine aux mille doutes étouffés, J’entends tes heures de bonheur  Au chevet d’un allié délaissé. Dix heures passent et tu ne faiblis pas. Dix heures, j’en aurais rêvé d’une; Mais la passion est la passion: Inexplicable, irraisonnable. Alors je bois tes notes douloureuses  Qui coulent dans ma trachée angoissée Par ce chagrin d’antan, Qui aurait tellement pu se consoler De quelques notes.

La datcha

La pluie martèle le toit fragile de la datcha. On lit les poèmes d’un exil lointain. Russie, espoir évanescent d’une égalité déchue, utopique, inexistante. Tout le monde croit savoir. Peu ont sondé le cœur et la terre des rêveurs soviétiques. C’est beau, c’est très loin, c’est seul, c’est vide le songe de l’Est. On prend le transsibérien en compagnie d’une photographe et d’un écrivain en quête de découverte et d’humanité. On s’envole un instant vers cet empire gigantesque aux idéaux trépassés.