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Affichage des articles du octobre, 2020

« Je ne voudrais pas crever sans avoir... »

... entendu Camus et sa Chute, écouté Garry et ses incertitudes, savouré Bukowski, ce vieux dégueulasse, imité Vian, parce que c’est divertissant, chanté les Passantes de Brassens, lu et relu quelques classiques, ri en écoutant Édouard Baer, ce grand guignol, élaboré quelques « élucubrations, frappée par la grâce »,  compris ce titre, réfléchi à la fuite de soi-même, été « un enfant et un héros », pensé au jeu de chacun dans la comédie de la vie, tout ressenti ce soir, assisté à son dernier spectacle, Le dernier spectacle avant longtemps. Merci Édouard, merci le théâtre, merci l’Art.

La boîte à couture

Ce soir, c'est avec recueillement que j'ouvre : LA boîte à couture de grand-maman. Après m'avoir appelée cet après-midi, Pépette me promet de la préparer pour moi. La boîte ressemble à un panier à pommes-de-terre pour la raclette, mais en plus haut, plus solide. Un tissu brun avec des petites fleurs blanches et orange pour le couvercle : ça sent les années septante et ses goûts ... propres ...  Oh merveille! La boîte est pleine de fils de toutes les couleurs! Je m'attèle à la tâche d'une maman d'un autre siècle: repriser des pantalons. Je remercie Hélène Michel de m'avoir appris le b.a.ba et maman aussi de m'avoir montré l'exemple. On peut taconner un pantalon avant de le donner plus loin, on peut recoudre un bouton ou un simple trou. La boîte est incroyable. Elle a suivi grand-maman et grand-papa dans leurs soirées de couture. Elle était toujours postée près de la télé, au cas où il y avait quelques retouches à faire. Aujourd'hui, où pourrais-je

L'insupportable attente

Mercredi. Attendre presque quatre jours pour savoir, connaître notre sort. Comme dans un cauchemar dont on ne sortirait pas; le confinement revient pour briser nos rêves et nos espoirs. Protéger l'humain en le déshumanisant, parce qu'un virus a décidé de réguler le nombre de têtes sur cette planète. Alors on attend. Mais comment? En profitant? En se protégeant? En philosophe, comme d'habitude, sans rien changer? En complotiste, en se morfondant, en appelant à l'apocalypse? En enfant, en sortant s'amuser dehors, en espérant une raclette avec grand-maman et ramasser des feuilles avec grand-papa?  Ce sera comment cette fois? Avec ou sans l'école? Avec ou sans test? Avec ou sans oxygène? Avec ou sans choix "gordien"? Qui gagnera? Qui s'essoufflera? Que fera-t-on pour que l'homme survive à sa déshumanisation? Buttant à leur quotidien incertain, les uns s'échappent en empoignant leur chapelet, les autres en lisant Camus. Mais si on a déjà lu Camu

Le portrait

  Atelier d’écriture avec Elisa Shua Dusapin, octobre 2020. I l y a du vent, elle se retourne, il la regarde . Il est grand, blond, la mèche rebelle. Il ajuste ses lunettes, arrange son écharpe, enfonce ses mains dans ses poches et détourne le regard : aigues-marines étincelantes, curieuses, qui n’arrivent pas à feindre le désintérêt.  Il scrute l’horizon, la ville médiévale et prometteuse d’un succès peut-être utopique. Son manteau bien taillé donne l’impression d’un homme bien rangé, certainement professeur, célibataire à la rue du Stalden, qui invite des étudiantes pour déguster des vins prestigieux et lire de la poésie surréaliste ou décadente. Pourtant, rien n’est décadent chez lui, si ce ne sont ses désirs. L’intellectuel a pensé l’inviter aussi, afin de lui faire écouter le troisième concerto pour piano de Rachmaninov. D’ailleurs, ses longues mains auraient pu le jouer ce concerto. Ou non, l’homme est plus fin, plus subtile, plus violoniste. Sa mère l’a couvé de tout son amour e

Au point de vue.

Je suis au « Point de vue ». Le bar en équilibre au sommet de la salle de spectacle, la réplique du « Point commun ». La vue est magnifique : les Grands Places, la fontaine « à » Tinguely, des arbres dorés par l’automne. On y vient pour travailler, rêvasser, boire un café au calme. Il y a des nappes cirées sur les tables et des coussins « tropicaux » sur les fauteuils. Une petite musique de méditation embaume l’espace. J’attends mon rendez-vous de 16h30 pour 10 fr la journée ou 5 fr. l’heure. On peut y boire de l’eau aromatisée ou du thé. Quand on est perché là-haut, on se sent bobo, bien-pensant, à l’écart du monde bien qu’au cœur de la ville. Et si on se confinait là-haut ?  

Sergeï

 « Non mais toi, tu ne pourras jamais jouer Rachmaninov, tu as de trop petites mains. »  Exit Rachmaninov et autres compositeurs slaves aux grandes mains. Après tout, je n’avais jamais pensé m’attaquer à un tel monstre ! Reléguée à écouter le grand Sergeï mais ne jamais le jouer.  Et ce soir, c’était toutes les émotions humaines condensées en un concerto: une douceur et une finesse dans le toucher, une poigne à démolir le piano à queue, une nostalgie tout orientale que seuls les slaves savent mêler à la mélancolie occidentale, une technique quasiment surhumaine, une stabilité à rebuter un lutteur suisse, des phrases et des vagues pour emporter l’auditeur et l’y laisser surfer entre tristesse profonde, drame , déchirure, légèreté, insouciance, l’inatteignable, les nuées stratosphériques qui côtoient le pas militaire et triomphal, l’épopée, la fierté, l’intransigeance, l’intégrité, la loyauté, l’orgueil et le doute. Un final flamboyant tout en splendeur .  Alors non, je ne le jouerai jam

Le dernier tango

  6 février 1971. Elle danse et espère que ce sera son dernier tango. « Soumise pour le meilleur et pour le pire », ce sera de l’histoire ancienne. Demain, ils votent. Eux, qui ont tous les pouvoirs et tous les avantages, ils décident pour nous, pauvre moitié écrasée et déconsidérée. Ce soir, elle danse une dernière fois, sous la houlette de son mari. Demain, on lui donnera sa dignité, ses droits, sa place acquise après tant de sacrifices. Alors ce soir il fait doux, non la douceur d’une abnégation feinte, mais celle d’une victoire en gestation. Demain, elle dansera de joie et d’indépendance, elle sera elle pour elle-même et plus à travers lui. Demain, c’est le 7 février 1971, le jour où le sexe faible se fait une place sur le devant de la scène citoyenne helvétique.

Celle qui est restée. (Concours AVE)

Les racines, elle a pour habitude de les cultiver et non de les ressasser. Dans son potager derrière la maison, elle fait pousser ses légumes et va même au plantage pour nourrir toute la famille. La famille, elle en est la gardienne. Seule, vieille-fille, rêche, grande et courbée, la tante veille sur la maisonnée. Elle s’occupera des enfants quand leur mère sera aux fourneaux, taillera la vigne pour son frère et s’occupera de ses parents vieillissants. On compte sur elle sans le lui dire et on espère qu’elle ne parte pas la première. C’est elle qui est restée, que l’on a sacrifiée sur l’autel de la responsabilité familiale afin que les parents ne finissent pas seuls. Une vie au service des autres, seule, chaste, pieuse. Une « sœur dans le siècle » pour ainsi dire. Elle aide et travaille d’arrache-pied. On ne lui a présenté personne pour la marier. Surtout pas l’interné yougoslave durant la guerre, qui aurait pourtant été attentionné et chaleureux. Non, lui, il est devenu le « frère »,

En attendant le coussin.

 «  18h; non j’ai un event. » Le frère attend son coussin princesse. Il doit le livrer demain. L’event, c’est au palais de Rumine. On remet les prix aux lauréats du concours des écrivains vaudois. Le diamant princesse attendra.  Maman, la sœur, le frère, bien entendu, la petite-cousine accompagnent la lauréate en procession sur la place de la Riponne. Le palais neo-florentin promet tant de fierté ! On s’arrête devant la fontaine, on prend vite une photo. Et puis on s’installe, covid oblige, à distance. Un intermède musico-interprétatif contemporain minimaliste ouvre la danse. On écoute sagement, sans se regarder. Les membres du jury , écrivains de la place, remercient et commencent à lister les heureux gagnants qui seront, pour l’occasion, publiés dans la revue. 12ème? Non. 10eme alors? Toujours pas. 6ème? Non. Attention, voici les lauréats lus, commentés et publiés: 5e? Mmh. 4e! « Celle qui est restée! » de Lise Michel ! L’écrivain lit le texte, le commente et finit par dire: « Ce tex

Une goutte d’émotion

 -Qu’est-ce que j’ai dessiné? -Une goutte d’émotion. -Quelle émotion? -La tristesse. -Pourquoi? Parce que depuis que tu es né, je t’ai tout donné sans compter: de l’amour à l’infini, de la patience à l’infini, de la clémence à l’infini. Mais tu continues à faire du mal à ta sœur par tes chamailleries, à ta maman par tes ricanements, à mon amour-propre par ta défiance. Et tu es triste aussi. Tu dois apprendre et moi aussi. Aimer ce n’est pas toujours tolérer. C’est pourquoi mon courage, ma patience et ma fermeté viendront à bout de cette goutte de tristesse; n’en déplaise à ma culpabilité et à mon instinct maternel.