L’ombre

 « Je n’arrive pas à courir plus vite que mon ombre. » Le petit garçon de sept ans saute, court, s’amuse dans la cuisine. Sa silhouette opaque est reflétée par le soleil du matin sur les portes blanches des buffets. Il ne parvient pas à s’en défaire. Son ombre lui colle aux talons en mime méticuleux.

Et Lucky Luke, il faisait comment pour tirer plus vite que son ombre ? Non, non, ce n’est pas possible ! Ton ombre est une copieuse, son existence n’a aucun sens sans toi. Elle t’est subordonnée, tu restes le principal sens de ta vie, ton ombre te seconde.

Celle qui te suit toujours, ou te précède parfois, qui rampe sur le sol sans jamais te laisser tomber, as-tu pensé à l’interroger ? Elle fait partie de toi, de ton être, même si c’est la lumière extérieure qui la révèle, sortie du néant pour devenir reflet ténébreux. Sans toi, elle n’existerait pas. Tu lui fais de l’ombre et parfois, elle te dépasse, juste le soir, quand les rayons du soleil rasent l’horizon. Alors la nuit prend le dessus, ton ombre s’étire, tu peux te reposer sur elle ou te laisser impressionner, te demander si c’est toi cette forme allongée ? Tu es si grand(e ) ? Tu ressembles à une statue de Giacometti à 17h et à toi-même à midi. Tu es fidèle pour le dîner et orgueilleux à l’apéro.

L’ombre est pratique. Elle t’abandonne rarement et ne t’embarrasse pas de ses bavardages. Elle est muette. Tu auras beau l’interroger, elle ne te répondra jamais. Mais elle est capable de t’énerver, quand tu es en contre-jour… elle cache ton visage et prend le dessus. 

Dans l’Egypte antique, l’ombre faisait partie de l’être. Elle le composait, tout comme le ba et le ka. Ces deux entités n’ont pas d’équivalents dans nos croyances occidentales. On pourrait cependant les apparenter à l’âme et au double de la personne. Les concepts égyptiens sont complexes. Pour les gens du Nil, l’ombre nous suivait dans la tombe. Normal, me direz-vous : si on va dans le royaume des ombres, elles y seront légions. Et pourtant, qui a déjà vu l’ombre d’un mort ? Elle semble s’éteindre au moment où le corps se couche dans son cercueil. Mais pour les anciens, elle accompagnait les défunts dans leur voyage vers l’au-delà.

Parfois l’ombre boude. Elle est absente. Comme ce matin. Pas l’ombre d’un rayon solaire, pas un nuage à l’horizon : juste le brouillard matinal qui annonce l’automne dans les régions humides. Aujourd’hui, elle ne se montrera pas. En automne, elle se cache la plupart du temps, mais où va-t-elle ? Aux royaumes des ombres, c’est sûr. Elle suit la tristesse de Déméter pleurant Perséphone ou se dissimule pour mieux accompagner les beaux jours. Si vous la voyez cet hiver, ne lui en voulez pas. C’est qu’elle s’ennuyait de vous et désirait danser au soleil.

 

 

 

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