Dépasser les frontières.

 Passer la frontière à ski : le niveau suprême de la liberté ! Celui ou celle qui aura un jour la chance de passer cette satanée ligne qui sépare les pays pourra en témoigner : c’est un sentiment sans commune mesure. Laissez-moi vous faire vivre ce privilège.

Vous êtes monté très haut, votre souffle est court face à un vent fouettant vos joues et votre nez gelé. Le massif des Alpes s’offre à votre vue époustouflée et votre respiration saccadée. Est-ce l’émotion ou le froid qui vous pétrifie devant un paysage quasi divin ? Cependant, vous renoncez à immortaliser le paradis car votre main tomberait sur place si vous osiez la sortir de sa moufle. L’image restera gravée dans votre mémoire, égoïstement.

Le courage et l’instinct de survie s’empare de vous. Vous poussez contre le vent pour dévaler la pente glacée. Le souffle coupé par les lames du froid, vous résistez jusqu’au premier contour qui vous donne un répit à l’abri du vent. Ça y est, vous êtes de l’autre côté ! 

La neige à l’infini, immaculée et scintillante s’étend telle une autoroute vers des horizons sauvages. La douane est derrière vous. Vous voilà au sud. Le café ne coûte plus qu’un euro, à midi, la terrasse est ouverte et on vous offre la grappa à la fin du repas. Dans une station improbable, la radio propulse des airs de vacances d’été.

Ailleurs, on dépasse aussi les confins helvétiques pour un transat au soleil, plus brillant et moins cher. Dans un pays au cœur des montagnes, il est aisé de se prendre pour un oiseau migrateur et d’outrepasser les règles territoriales ; si on a les moyens…

En franchissant la frontière à ski, ce sont les lois que l’on dépasse. On se sent clandestin, sans papier, ni limite ; mais sans la peur du douanier. Contrebandier des hauteurs, vous allez jusqu’à passer une bouteille de Pantelleria dans votre sac à dos pour vous souvenir de ce moment hors du temps, suspendu au-dessus des traits que l’on ne trace que sur les cartes.

Au retour, le soleil est passé derrière les sommets. La Suisse est plongée dans l’ombre. Ce qui renforce la sensation de froid et de honte. La culpabilité d’avoir volé quelques heures à l’Éden. 

Vous rebroussez chemin avec la horde de skieurs impatients de retrouver des pénates confortables. Un cortège d’Helvètes se rue vers la frontière. Ils poussent en cadence sur leurs bâtons. Silencieux, ils pensent à tous ces migrants qui passent les frontières à pied.

En glissant sur la ligne invisible qui séparent les nations, le skieur a chatouillé la liberté, avec le ciel en guise de toit et la neige pour tout territoire. Le sol n’avait pas de limite et il n’appartenait à personne. 

Malheureusement, tout le monde n’a pas la chance de vivre cette aventure rédemptrice. Le skieur chanceux et nanti s’en veut. La liberté existe dans la nature, mais peut-être pas pour tous les hommes.

 

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