Le walkman

  

« Elle s’installe près de la fenêtre, sort son journal et son walkman. » Cette phrase d’un roman de 2023 me plonge dans cette interrogation qui me taraudait l’autre jour : Pourquoi n’a-t-on pas de peine aujourd’hui à accepter les écouteurs et autres casques bien voyants alors qu’à l’apparition du walkman, dans les années 80, l’engin était si mal vu ? 

Sortir son walkman, poser ostensiblement le casque aux mousses qui s’effritent sur ses oreilles, qu’on en a un, choisir sa cassette, peser sur les boutons, revenir en arrière pour entendre encore une fois la piste 4, accrocher l’objet à sa ceinture, marcher librement tout en écoutant de la musique, dodeliner de la tête, être dans son monde aux yeux de tous, ne pas les entendre et les envoyer paître indirectement, par indifférence. 

Interdit en société ! C’est malhonnête, individualiste, peu respectueux de l’entourage ! Cache-moi ça et sors-le seulement quand personne n’essaie de te parler, soit le soir pour écouter ta chanson préférée, soit au camp de ski, la nuit quand tu n’arrives pas à dormir, en train, à la limite, durant un long trajet dans une contrée où l’on ne parle pas ta langue. Voilà ce que l’on pouvait insinuer dans les années nonante. C’était trop américain (le premier walkman est japonais…), mauvais genre, trop cool et égoïste.

Que dire en 2025 lorsque l’on se rend compte que seuls les gens nés avant l’invention de la précieuse boîte à écouter des cassettes ne portent pas de casque ou d’écouteurs (ou rarement) ? Que ce soit le casque dernier cri, de la même marque que l’objet né en 1979, aux mousses ultra isolantes cette fois-ci ou les mini-écouteurs invisibles qui ressemblent à des appareils auditifs, quel individu n’a pas quelque chose dans les oreilles aujourd’hui dans les transports publics, les magasins, la rue ou même la forêt ? Peut-on vivre en 2025 sans ses écouteurs ? Même en cours, parfois, les cheveux des élèves cachent les précieux isolateurs phoniques. Non, ils ne sont pas là. Ils vous regardent mais ne vous entendent pas. Vous pouvez toujours parler, vous ne les intéressez pas, ils font semblant. 

Ils ont raison tous ces sourds volontaires ! Qui a envie d’entendre les bruits du monde, de la rue, la musique imposée, les cris des uns, les silences des autres, les pleurs des bébés fatigués, les bêtises, les aboiements des chiens apeurés, la dame qui demande son chemin, le monsieur qui demande des sous, le soûlon qui braille ? Alors on met son casque. On abandonne. On se met dans sa bulle. On entre dans le sas avant d’arriver à la maison. A défaut d’être complètement déconnecté de son entourage, on le voit, on le sent. Il incommode toujours mais moins. « Oh, je ne voulais pas te déranger, je me suis assise plus loin. » 

Vous entendez cette voix d’un autre siècle : « C’est impoli ! » Oui, c’est grossier pour l’entourage et rassurant pour l’individu. Etre dans le monde mais pas trop. Etre de son siècle mais pas dedans. Ils n’entendront pas la discussion des quelques passagers qui avaient oublié leurs écouteurs. Ils ne sauront pas les dernières préoccupations des gens, les potins ou les scènes de vie brèves et inspirantes. C’est un choix. Et pourtant parfois, on aurait dû les prendre ces écouteurs…

« Tu n’as pas entendu mon vocal ? » 

« Non, j’étais dans le train. Je ne voulais pas déranger tout le wagon. »

« Mais tu n’avais pas tes écouteurs ? »

« Non, je les avais oubliés. Enfin, du coup, je n’ai pas compris pour le souper de ce soir. Désolé. »

« T’es vraiment rétro ! Tu vis dans quel siècle ? Il faut toujours avoir ses écouteurs ! »

Oui, sûrement. Il faut être outillé pour écouter. Lire un message, c’est plus discret, c’est silencieux, moins authentique, bien entendu parce qu’il n’y a pas l’intonation. On n’écrit plus de nos jours, on s’enregistre, c’est moins risqué.

 

 

 

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