Chère ennemie

 Chère ennemie,

 

A nouveau tu me reviens. Grise, laide, ennuyeuse et ennuyée, avec toi, tout devient une montagne, tu ne veux rien et en même temps, tu souhaiterais tout sauf me rendre visite. Je connais ton existence et pourtant, à chaque fois tu parviens à me surprendre. On ne t’attend jamais, tout est facile, tout est parfait et tu surgis, telle une hydre hideuse et affamée. A peine assommée, tu reviens plus forte et plus têtue. Si je savais au moins quand t’accueillir, je te préparerais un thé, des biscuits et une couverture ; mais non, tu as décidé de ne jamais avertir. 

Aujourd’hui, tu étais là à l’aube. Je t’ai sentie à m’attendre au coin de ma chambre. Et puis, tu t’es emparée de moi, alors que je revêtais ma robe de chambre. Tu m’as suivie à la table du petit déjeuner. Je sentais ton goût dans mes céréales, ton insipidité dans mon thé ; tu as tout pris, même mon envie. La confiture était fade et le pain très sec. Le thé sentait les larmes et tu dégoulinais partout.

J’ai lutté en menant mes travaux quotidiens de bonne ménagère. Je me suis même surpassée en refaisant le joint de la salle de bain entre deux lessives. Il paraît que si on t’ignore, tu peux te vexer et prendre tes clics et tes clacs. Mais non, cette fois, tu es restée, trop satisfaite à voir que mes efforts ne valaient rien. J’ai tout fait en ravalant mes larmes et seules les gouttes calcaire de la douche ont glissé sur ta mesquinerie.

Et puis je n’ai pas résisté :  j’ai pleuré, appelé ma mère, pleuré, je suis partie me promener, j’ai pleuré en marchant. Enfin juste de toutes petites larmes, juste de quoi gêner si je croisais quelqu’un que je connaissais. 

Peut-être, fallait-il que je me repose ? La sieste ? Je n’en avais aucune envie. Un antidépresseur ? Tu croyais m’avoir si facilement ! Non, j’ai continué mes efforts et j’ai trouvé la parade qui permettrait de te mettre en sourdine : l’écriture.

J’ai pris tout mon courage, ravalé mes sanglots, chassé l’apathie et je suis montée à mon bureau. J’ai écrit. 

J’écris. Tu demeures. Je t’écris. Tu t’effaces. Je te décris. Tu fonds. Je t’envoie. Tu disparais ; jusqu’à la prochaine fois.

Cette prochaine fois, je prendrai mon clavier ou ma plume dès l’aurore et te dresserai une caricature que tu n’imagines pas : encore plus insupportable que tu ne l’es, je forcerai le trait pour que tu t’estompes, pour que tu t’envoles. Je ne veux plus te voir et pourtant je sais que tu ne partiras pas avant d’avoir vu ma tombe. 

Ne reste pas pour cette fois. Ne me reviens pas. Oublie-moi ! Tu es perfide et résolue mais tu ne me surprendras plus. Je sais que tu es toujours là, tapie dans mon cœur que tu saignes à l’envi. C’est pourtant décidé : Je vais t’oublier. Tu mourras affamée tant ma joie t’étouffera. Tu l’as bien cherché. Sus à la mélancolie et toutes ses têtes monstrueuses ! Ecrase-toi, disparais, crève !

Si tu reviens, je ne saurai pas quand, mais je saurai t’accueillir sans te laisser m’envahir. Je sais  désormais que l’encre ne te sied pas. Sache que je ne t’aime pas. Tu es la nuit des enfers et la chute des hommes. Tu parais innocente, mais tu sais. Tu te nourris de notre angoisse et de nos idées noires. Si un jour tu osais croire que tu es attendue par certains, je te renverrais ton arrogance pour te dire haut et fort que non, tu es persona non grata ! Quelques artistes ont peut-être fait ton éloge. Mais ne les crois pas, c’était pour te séduire, tu t’es fait avoir par les poètes maudits ! Tu te traines d’âme en âme dans l’espoir de nous absorber à petit feu. Tu n’as pas tort. Cependant, je ne dirai pas que c’est grâce à toi que ces écrivains ont fait des miracles. C’est leur génie qui se révélait entre leurs lignes. 

Maintenant, je suis résignée. Je te connais: tu reviendras, n'importe quand. Alors j'aimerais te dire "adieu", mais sais que ce n'est qu'un "au revoir" non consentit. 

Surtout, repose-toi bien et ne te crois pas attendue.

A plus,


Lise

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