Une rafale, des racines (inspiré de l'exposition des photos d'Alan Humerose au musée d'Estavayer-le-Lac)

On sentait le pétrichor avant même qu'il ne pleuve. Les animaux avaient perçu le tremblement de la Terre bien avant les hommes. Ils connaissaient le danger qui se préparait. Agités d'abord, ils avaient couru partout puis avaient disparu dans des abris inconnus. La clairière était déserte. Les feuilles des arbres ont commencé à frémir. J'ai compris. Rien n'avait été annoncé. J'ai regardé le ciel: il était noir et épais. J'ai écouté mon intuition: "N'y va pas." J'y suis allée ; avec un parapluie. 

Je suis maintenant au coeur de la forêt. Mon parapluie ne me servira à rien. Un souffle s'élève de la forêt; une vague destructrice soulève la poussière et les feuilles mortes. Une rafale retentissante comme trois avions de chasse qui passeraient le mur du son paralyse mon tympan. La violence de ce vent venu d'ailleurs me projette au sol. Mon nez touche l'humus. Une odeur de moisi s'infiltre dans mes sinus. Il n'y a personne, seuls les arbres restent. Ils ont peur maintenant, eux aussi. Je ferme les yeux, fort, mes paupières se crispent, mes mains protègent mes oreilles. Les arbres, grands prêtres de la forêt, sont bousculés, ils se penchent, se relèvent, ne savent plus sur quelle racine danser. Ça craque, ça gronde, le premier sombre, déchire la futaie et écrase les arbrisseaux dont les feuilles frémissaient. Le vent siffle entre les troncs, les animaux tapis se taisent. Je me tais. J'attends que la tempête passe en priant le Ciel de pouvoir le voir encore quand tout sera fini. 

Un silence de mort. Rien. Où suis-je? Dans cette clairière? Au Ciel? La forêt a-t-elle résisté? Mes mains découvrent mes oreilles ; j'ouvre un oeil, je vois l'herbe, la terre. Mes mains cherchent mon corps. Je le sens, puis les feuilles, le bois. Une branche est tombée sur moi. Je m'en dégage. Le ciel est gris clair ; je n'ose regarder l'horizon. Je ferme les yeux, baisse un peu la tête à hauteur des cimes au loin. J'hésite. Et si aucun n'avait résisté?

Les grands prêtres ne se sont pas relevés. On en a fait des bancs, des sculptures. Les arbrisseaux se sont frayé un chemin entre les troncs, les débris, les branches. Ils n'ont pas la forme qu'ils auraient pu avoir si la rafale n'avait pas terrassé la forêt. Ils ont des airs de résistants, de cri doux de la vie qui trouve toujours une façon de se manifester malgré la rafale.

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